Chapitre I – L’adieu à l’enfance de l’Humanité

en italique sont mes commentaires personnels qui ne sont pas nécessairement évoqués par les auteurs

(sous-titré : ou pourquoi ceci n’est pas un livre sur les origines des inégalités)

Le livre s’ouvre sur le constat que la plus grande partie de l’histoire de l’humanité nous est à jamais inaccessible. En effet, l’homme moderne est apparu il y a 200 000 ans et l’écriture uniquement 5 000 (?).

Bison au plafond de la grotte d’Altamira CC BY-SA 3.0 igo Yvon Fruneau

Malgré ce constat qui devrait forcer l’humilité, le récit biblique “l’homme était heureux à l’état de nature puis a pêcher et alors ont commencé les ennuis “, repris par Rousseau en 1754 dans son discours sur l’origine des inégalités, fait consensus. L’agriculture aurait entraîné la sédentarisation puis l’émergence de la propriété privée et par voie de conséquence celle de l’État de la police, des contrôles du fisc et de l’URSSAF.
C’est vrai qu’il est un lieu commun d’entendre “l’agriculture, pire erreur de l’humanité”.

Le seul discours alternatif est celui de Hobbes et il est encore pire : l’Homme serait naturellement mauvais et c’est la société qui lui permet de freiner ses pulsions animales.

Ces deux thèses sont rejetées par les auteurs, pour qui :
C’est faux
C’est politiquement désastreux
Ça renvoie une image ennuyeuse du passé

1. C’est faux

En se basant sur l’état actuel de l’archéologie et de l’ethnologie les auteurs vont démontrer que l’agriculture ne s’est pas imposée d’un seul coup mais que des allez retour ont été effectués entre nomadisme et sédentarité. Que les premières villes n’était pas autoritaires, que l’agriculture pouvait être gérée de manière égalitaire. Et donc que l’histoire n’a pas évolué linéairement. En ça le livre ne prétend rien d’autre que de vulgariser l’état actuel des connaissances.

2. C’est politiquement désastreux

On s’aperçoit vite qu’il y a un problème avec la vision de Hobbes. Car elle implique une autorité nécessaire et croissante de l’état.
La vision de Rousseau est un peu plus optimiste, mais elle implique que le maintien de notre niveau de développement se fait au prix des inégalités.
Ensuite les auteurs reviennent sur la notion d’inégalité. Et de comment ce mot euphémise la situation pour créer un discours vague et invisibiliser ceux qui profitent de ces inégalités (parle-t-on d’inégalité de revenus, de capital, des chances ?). Si on parlait de lutte des classes ou de concentration de capital on saurait immédiatement a quoi on s’attaque.

Notons ici que le livre date de 2020, et que le discours de gauche en France est sans doute plus radical qu’aux États-Unis car les questions de luttes des classes et de concentration des richesses sont dénoncés régulièrement par les personnalités situés à gauche du PS.

Accepter le discours de Rousseau c’est accepter que pour atteindre l’égalité il faut revenir au statut de chasseurs cueilleurs, mode de production nécessitant plus d’emprise au sol et donc une réduction de la population de l’ordre de 99%.

Il ne nous reste donc qu’à négocier le poid des chaînes (“la taille de la botte” comme le disent les auteurs)

La these défendue par les auteurs est que les dizaines de milliers d’années qui ont précédé l’émergence de notre civilisation ont été le théâtre d’expérimentation d’organisations.

Ainsi est explicitée la thèse du livre :

Comme cet ouvrage le démontrera, l’histoire de l’humanité est moins déterminée par l’égal accès aux ressources matérielles, que par l’égale capacité à prendre part aux décisions touchant à la vie collective

On touche du doigt ici une de mes interrogations marxiste sur la thèse des auteurs : si le moteur de l’histoire est la lutte des classes (et donc les conditions matérielles de production). Peut être peut on supposer que les sociétés sans classes sont donc sans histoire ? C’est sans doute un peu contradictoire avec la thèse des auteurs.

Ensuite les auteurs reviennent avec des exemples d’auteurs modernes qui entretiennent le mythe rousseauiste (Francis Fukuyama et Jared Diamond )

Les auteurs mettent ces propos d’une part sur le compte d’un a priori sans fondement scientifique mais aussi sur une mauvaise compréhension du procédé utilisé par Rousseau : l’état de nature est une expérience de pensée pas un état ayant réellement existé. C’est ce procédé qui est également utilisé par Hobbes. Cependant d’autres auteurs contemporains (dont Pinker) bien qu’admettant que Hobbes n’avait aucune idée de ce a quoi ressemblait les sociétés préhistorique ne lui donne pas moins raison sur l’idée que notre époque est la moins violente de toute car la plus organisé. Pour cela il s’appuie assez faiblement sur les sois disant reste humain légués par ces époques (dont otzi) tous mort de mort violente. Idée écarté par nos deux David avec l’exemple de Romito 2 (un adolescent nain mais nourrit comme les autres et mieux enterré malgré son infirmité ) ainsi que de multiples sépultures non citées ici.

Je trouve la démonstration par Romito un peu légère, on ne sait rien de cet adolescent, peut être occupait il une position importante ? Cependant par symétrie, tout argument qui invalide Romito, invalide nécessairement l’argument Ötzi qui est construit de la même manière . La question de la gestion du handicap à la préhistoire est le sujet de l’article ici : https://journals.openedition.org/nda/12873?lang=en#tocto1n3

Les auteurs actuels (qu’il soit rousseauistes ou hobbesiens) ne se contentent pas de faire des suppositions sur les peuples du passé mais s’appuient également sur les peuples contemporains (pygmées pour les rousseauistes et yanomamis pour les hobbesiens )

Les auteurs poursuivent avec une critique de Chagnon un anthropologue qui semble partir du principe que la civilisation occidentale est le stade le plus développé actuellement des organisations humaine. Puis démontent ce principe en disant que si tel était le cas alors les individus ayant expérimenté les deux modes d’organisation et étant en position de choisir dans laquelle ils préfèrent vivre choisiraient systématiquement la civilisation occidentale. Or les faits reportés démontrent plutôt le contraire (exemple d’Helena Valéro enlevée à l’âge de 11 ans par les yanomamis et qui après une vingtaine d’années parmi eux est allée à la recherche de ses parents biologiques avant de revenir déçue vivre auprès de ses “ravisseurs”). Et que inversement, les indigènes ayant vécu dans les organisations occidentales sont nombreux à retourner vivre dans leur tribu à la première occasion.

Fait déjà décrit en 1753 dans une
Lettre privé de b. Franklin.

Les motivations de ces choix sont souvent la liberté mais aussi le refus de la pauvreté dans ces sociétés. La vie étant quand même plus agréable quand personne autour n’est dans la misère. (citation rigolote d’Oscar Wilde “qui disait défendre le socialisme pour la simple raison qu’il n’aimait pas voir des pauvres ni être contraint de les écouter raconter leurs histoires”)

Il convient également de se rappeler que la démocratie érigée en valeur aujourd’hui était une crainte a l’époque des lumières. Y compris pendant la révolution française ou l’indépendance américaine. Il fallait a tout prix éviter de tomber dans le chaos de celle ci.

(On peut certainement noter que la notion de démocratie a l’époque concernait plus les démocraties directe set qu’à bien des égards les démocraties représentatives – modèles de nos sociétés occidentales – ne sont pas des démocratie au sens où l’entendaient les philosophes de cette époque)

3 – Faux, mais surtout ennuyeux

Le récit majoritaire a tendance à s’auto-alimenter, si nous retrouvons des objets super loin de leur lieu de production, on en conclut que les sociétés pratiquaient le commerce de marché et donc on infère des mécanismes de transmission des richesses qui sont en fait les nôtres. Les auteurs suggèrent d’autres modes de transmission des biens tels que :

  • Les rêves et quêtes de vision :
    Voyages lointains pour se procurer des items rares ou exotiques (exemple des peuples de langue iroquoise au xvie siècle )
  • Les guérisseurs itinérants qui accumulaient les biens de leur “secte” sur leur chemin
  • Les pertes au jeu par exemple (les femmes amérindiennes du nord avait souvent un rapport difficile aux jeux de dés )

On oublie à quel point ces gens sont nos semblables, capables des mêmes abstractions des mêmes réflexions et soumis aux mêmes soucis que nous. Selon Héléna Valéro “les yanomamis sont ni des anges ni des démons, ils sont comme nous”

Les auteurs annoncent ensuite le sujet du livre :

Plutôt que de chercher a comprendre ce qui a pu rendre nos sociétés si inégales, nous allons nous demander pourquoi le problème des inégalités lui même a acquis une telle importance, avant de développer un récit différent, plus conforme à l’état actuel de nos connaissances

Et que la première partie sera consacrée aux penseurs indigènes

S’ensuit 4 pages de notes de fin de chapitre avec les références des exemples cités. Je ne les contrôlerai pas toutes mais je vais tenter d’en explorer deux ou trois de manière critique.

Les auteurs font également référence a Margaret Meade qui avait suggéré que les premiers signe de civilisation n’était pas là maîtrise d’outils mais un fémur ressoudé, ce qui indiquait que les humains avait été capable de subvenir aux besoins d’une personne blessée pendant 6 semaines. Cet exemple a plusieurs fois été cité par Jean-Luc Mélenchon lors de meeting ou d’interview.

Dans ce premier chapitre les auteurs annoncent clairement la thèse et de quoi va parler le livre, les exemples sont référencés mais on sent quand même poindre la technique consistant à attribuer des positions à ses adversaires puis à combattre les positions prêtées. Les auteurs mis en cause (Fukuyama, Pinker, Diamond) ne sont pas ethnologues. En ça le dispositif de Graeber et Wengrow est relativement honnête malgré tout, car il ne promet pas de nouvelles théorie mais juste une mise à disposition de l’état de la science.

Note super rapide des lieux et des auteurs cités ci dessus (compte tenu du peu de valeur ajoutée de la rédaction de cette note elle est généré par un outil de rédaction automatique):


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